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L’industrie des arts et spectacles en temps de pandémie : témoignages de l’intérieur

Une passion sans fin pour l’industrie des arts et de la culture m’habite. J’apprécie profondément le métier de chacun et la fonction que chacun a dans l’industrie. Seul, on n’est pas grand chose. Ensemble, on arrive à faire de bien belles choses. C’est un peu le pourquoi j’ai eu envie de m’incruster dans la tête et le quotidien de ceux qui sont généralement un peu moins sous le feu des projecteurs. Derrière un humoriste, derrière un chanteur, derrière un groupe, il y a des musiciens, il y a des techniciens. Il y a des agents de promo, des attachés de presse, des gérants. Et j’en passe. Plein de gens qui sont également touché par les répercussions qu’a la COVID-19 dans nos vies. Plein de gens qu’on n’entend pas. 

Avec la pandémie qui nous a tous touchés en mars 2020, pour certains, le monde s’est écroulé. Pour d’autres, une vague de travail a déferlé sur leurs bureaux : de la gestion, des reports et des annulations. Nos jobs ont mangé la claque. Notre moral aussi. On a principalement entendu parlé des shows reportés, quelques artistes ont partagé leurs états d’âmes sur les réseaux sociaux. Et si on poussait un peu plus loin? On nous dit à tout bout de champ que ça va bien aller. Comme si c’était suffisant, pour nous consoler, pour nous faire croire que bientôt, tout ça sera du passé, qu’on aura bientôt un retour à la normalité. Et si on demandait sincèrement aux gens, comment ils vont ?

« Rester sain d’esprit »

David-Alexandre Brousseau est bassiste professionnel et depuis deux ans, il performe principalement avec la chanteuse Izabelle. Lorsque la pandémie a frappé, des spectacles étaient prévus toutes les fins de semaines, et ce, à travers le Québec. « J’ai toujours été un passionné et j’ai toujours beaucoup aimé pratiquer mon instrument, entre 3 et 5 heures, par jour, de pratique. Je passais donc beaucoup de temps avec ma basse dans les mains, que ce soit pour ma pratique personnelle ou pour apprendre le répertoire que je devais jouer en spectacle. Quand la pandémie a commencé, il n’y avait plus de spectacle, plus de deadline et beaucoup moins de raisons de pratiquer. Ma motivation à pratiquer est devenue beaucoup moins grande » raconte David-Alexandre, qui heureusement, est aussi un passionné d’entraînement. « J’ai investi un peu plus de temps là-dedans [l’entraînement] et ça m’a aidé à rester sain d’esprit. » Rester sain d’esprit. Des mots qui m’ont particulièrement touché, car j’ai davantage réalisé l’importance du métier de David-Alexandre et ce que ça représente pour lui.

C’est un peu le même struggle auquel Jean-Philippe Michaud a fait face. « La première vague m’a affecté énormément » me dit-il, alors qu’avec son groupe RSVP, des concerts en première partie de Rick Pagano étaient prévus, et même que plusieurs festivals étaient à l’horaire pour l’été 2020. « Si on parle en date d’aujourd’hui, je dirais que ça va bien, en fait, mieux » renchérit le bassiste du groupe pop. RSVP était sur une incroyable lancée, à la suite de la sortie de leur EP, et leur musique commençait à passer en boucle à la radio. En un rien de temps, tout s’est arrêté. « Nous jouions le vendredi le 6 mars à l’Impérial Bell, qui est dans notre ville, à Québec, et nous faisions la première partie de Rick à guichet fermé. Nous avons passé une incroyable soirée. Le lundi suivant, nous apprenions que la COVID-19 était beaucoup plus sérieuse et que tout était maintenant terminé. Nous avons eu un printemps assez difficile moralement. » Il y a de quoi déprimer, lorsqu’on fait face à l’inconnu et que du jour au lendemain, la raison pour laquelle on se lève le matin devient super flou.

Olivier Savoie Campeau, directeur musical, drummer et photographe, a également encaissé difficilement le confinement. Lui qui vivait déjà une situation un peu rough, c’était maintenant impossible de sortir ou voir des proches. « Je ne vais pas te mentir, ça n’a pas prit grand temps avant que ça feel comme un gros trou noir sans fond. […] Avec le recul, je me rends compte que j’ai fort probablement fait une dépression. Mais hey, je ne suis certainement pas le seul, right? » écrit-il à ses abonnés sur les réseaux sociaux. Le genre de confession qui nous donne envie d’un câlin collectif.

Dans la catégorie de ceux qui ont eu du pain sur la planche (pour ne pas faire de mauvais jeux de mots en lien avec tous les Québécois qui se sont improvisés boulangers au printemps passé…), j’ai discuté avec deux femmes qui travaillent généralement dans l’ombre. Joelle Proulx et Vickye Morin sont à la tête de l’agence Ranch. En plus d’être entrepreneures, elles portent plusieurs titres, tels que gérantes, productrices, attachées de presse et agentes de spectacle. Matt Lang, Travis Cormier, Brittany Kennell, Wild Ouest et Lydia Sutherland font partis des artistes country qui grandissent sous la bannière Ranch. Tout récemment, l’agence a fêté sa première année d’existence. « On va se dire les vraies choses, on s’est lancé en affaires quelques mois avant une pandémie mondiale. Démarrer une entreprise culturelle dans ces conditions n’était pas chose simple » m’ont confié Joelle et Vickye. « Quelques jours avant la fermeture des salles de spectacles, on avait annoncé un concert bénéfice avec tous nos artistes, ou presque, pour venir en aide suite à la tornade à Nashville. C’était un spectacle sous forme de songwriter’s night en collaboration avec Lasso. Une soirée où on devait se rassembler pour célébrer la musique qu’on aime et aider la ville qui est son berceau. C’est définitivement l’un des événements dont on est le plus déçues de ne pas avoir pu le réaliser. »

Un brin de normalité

Avec l’arrivée de l’été, les mesures sanitaires se sont assouplies et il a été possible pour notre industrie de reprendre un semblant de vie. Plusieurs artistes en ont profité pour se retrouver en studio et enregistrer du nouveau matériel. Certains se sont donné en spectacle, en formule intime devant 50 ou même 80 personnes. Plexiglas, masques et distanciation fut les mots d’ordre pour toutes reprises d’activités. Un réconfort immense pour plusieurs qui ont trouvé les mois précédents difficiles.

Pour Jean-Philippe et Henri, le drummer du groupe RSVP et aussi coloc du bassiste, ça représentait beaucoup: enfin, ils pouvaient renouer avec le chanteur du groupe, après trois mois à être séparés. « Nous avons seulement revu Darren la veille de notre spectacle virtuel à l’Anti, le 11 juin. Donc, pratiquement trois mois sans se voir, et sans jouer de musique. Ce spectacle nous a fait du bien. » Et avec raison. À l’horizon, un brin de normalité semblait se dessiner.

Une deuxième vague créative

Du côté de l’agence Ranch, les filles sont vraiment positives. « C’est certain que ça complique et affecte une énorme partie de notre travail, mais ça nous force à rester créatives et à être en continuel ajustement. » me disent-elles. Des collaborations, de la promo, de la production et de la création de contenu… Joelle et Vickye font définitivement partis de ceux et celles qui n’arrêtent pas, malgré tout. « La vérité, c’est que ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de spectacles qu’on est moins occupées. Ça nous permet de nous mettre le nez dans la création et de préparer le terrain pour quand les choses reviendront à la normale. » C’est d’ailleurs la situation exceptionnelle que l’on vit qui leur a permis de peaufiner un nouveau son pour Travis Cormier. « La pandémie nous aura par exemple donné l’idée de préparer le public à un virage un peu plus country pour Travis Cormier avec un cover de Tim Mcgraw et Faith Hill, avec une autre artiste avec qui on travaille, Brittany Kennell. La vidéo a eu un gros succès pour les deux artistes et ça nous a permis de mettre la table pour le premier extrait de Travis qu’on vient tout juste de lancer. » En voyant ces femmes travailler et se dévouer à leurs protégés, on comprend que les artistes sont tout de même entre de bonnes mains et qu’un travail continue de s’effectuer pour leur assurer un retour musical réussi lorsque les choses reviendront à la normale. « On garde le moral en se disant qu’on est très chanceuses de pouvoir continuer d’exercer notre métier et d’avoir du temps pour développer des projets qui nous tiennent à cœur avec des artistes incroyables. »

Toujours en mode création, Jean-Philippe Michaud, pour sa part, m’a confié qu’à l’automne le groupe devait se retrouver au chalet de leur gérant pour se concentrer sur la composition de nouvelles chansons. Évidemment, vu les restrictions mises en place par le gouvernement, il s’agit d’un autre projet qui est tombé à l’eau. Les gars ont tout de même eu le temps de tourner un vidéoclip pour leur chanson Rêvons en couleurs, en plus de participer à une séance photo promotionnelle. L’idée de créer du nouveau matériel étant toujours présente, ils ont tenu à mener à bien de nouvelles créations malgré la distance. « C’était différent puisque Darren composait des maquettes, il nous envoyait ça et on lui disait nos commentaires et suggestions. C’est une méthode différente de ce que l’on fait à l’habitude, mais heureusement cela a été productif! » m’explique le bassiste.

Le calme après la tempête

Malgré les difficultés rencontrées depuis la dernière année, je trouve ça beau, de voir les gens de notre industrie se renouveler et trouver le moyen d’aller au bout de leurs idées, et de tout faire pour garder le moral.

« Les artistes n’arrêteront pas de créer et les gens n’arrêteront pas de vouloir écouter de la musique. Il faut cependant supporter cette création et sensibiliser le public à la valeur de cette musique. L’industrie ne survivra pas avec des spectacles virtuels gratuits sur Facebook. Oui il faut demeurer actifs, mais il faut aussi être stratégiques, même en temps de crise » précisent Joelle et Vickye. Je n’aurais pas mieux dit, et j’espère de tout cœur que tout le monde ensemble, on pourra continuer à faire fleurir nos artistes d’ici de la meilleure façon qui soit.

Je tiens à préciser que ceux qui m’ont fait part de leurs états d’âme en début de cet article, vont mieux aujourd’hui. « Je me sens léger et plus fort qu’avant. Cette pandémie, qui n’est pas fini, m’a aidé à jeter un regard sur ce qui est important à mes yeux. Sur qui je suis. Sur ce que je veux et ne veux plus » souligne Olivier Savoie Campeau.

Pour RSVP, du nouveau matériel est à venir très bientôt. « Nous serons prêts avec de nouvelles chansons et un tout nouveau spectacle! On espère de tout cœur que le tout redeviendra à la normale d’ici l’été prochain, pour la saison des festivals » espère Jean-Philippe. « Deux ans sans faire de spectacles, pour un groupe, c’est mortel. »

D’ici là, qui que vous soyez, prenez soin de vous. Votre santé mentale est plus importante que tout le reste. Prenez le temps de vous écouter, de trouver le moyen de répondre à vos besoins intérieurs et surtout, trouver le moyen de vous faire plaisir. Quand on pourra reprendre nos vies où on les a laissé en mars 2020, on aura besoin d’une belle population pleine de vie pour remplir nos restos locaux, les salles de spectacles et… nos bras. Prenez ceci comme une invitation, pour toutes les belles choses qui nous attendent quand l’orage sera passé.


David-Alexandre Brousseau
Instagram : @dabrousseau

Jean-Philippe Michaud / RSVP
Instagram : @jeepyy_rsvp @rsvpmusique
Facebook : RSVP musique
Site Internet : www.rsvpmusique.com

Joelle Proulx & Vickye Morin / Agence Ranch
Instagram : @agenceranch
Facebook : Agence Ranch
Site Internet : agenceranch.com
Suggestions de l’agence : She’s gonna be a song – Travis Cormier | EP Mille raisons de boire – Wild Ouest | Album L’heure d’été – Léa Jarry
Crédit photo couverture : Elodie Mériau

Olivier Savoie Campeau
Instagram : @olitakesshots
Site Internet : www.olitakesshots.com


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Réviseure : Kim Desormeaux

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